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© Ronald Van Cauter, 2006

 

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10 janvier 2018 3 10 /01 /janvier /2018 15:15

Aujourd’hui assez méconnu du grand public, le peintre, graveur et lithographe Jean Carzou a marqué l’histoire de l’art de la seconde moitié du xxe siècle par ses œuvres très graphiques et ses thèmes à la fois visionnaires et empreints de mémoire.

Jean Carzou, "Provence", 1960 (In Furhange, Maguy, CARZOU: graveur et lithographe I, Éditions d'Art de Francony, Nice, 1971, p. 181 [lithographie n° 71])

Jean Carzou, "Provence", 1960 (In Furhange, Maguy, CARZOU: graveur et lithographe I, Éditions d'Art de Francony, Nice, 1971, p. 181 [lithographie n° 71])

Le génie arménien et l’œuvre protéiforme

 

Karnik Zouloumian est né à Alep en 1907. À l’âge de 18 ans, le jeune Arménien part pour Paris où il suit une formation d’architecte à l’École Spéciale d’architecture, de laquelle il sort diplômé cinq ans plus tard. Cette formation se reflètera dans son œuvre à travers une grande précision dans le trait et l’évaluation parfaite des perspectives : les enchevêtrements de lignes qui caractérisent cette œuvre très graphique, rectiligne, identifiable au premier coup d’œil et reconnaissable entre toutes, plongent quiconque s’attarde du regard sur ses compositions dans les méandres d’une peinture qui bouleverse l’histoire de l’art et explore les souvenirs, pensées et émotions de l’artiste, qui signera dès lors CARZOU.

Jean Carzou (In Furhange, Maguy, préface de Roger Caillois, CARZOU: graveur et lithographe I, Éditions d'Art de Francony, Nice, 1971, p. 25)

De son arrivée en France aux années 1950, Carzou produit une œuvre conséquente et variée. Après quelques débuts dans le dessin satyrique pour la presse, il fait ses preuves dans le milieu du spectacle, où il confectionne les décors d’opéras et de pièces de théâtre dont ceux des Indes galantes de Rameau en 1952. Ne souhaitant pas être connu comme décorateur, il se détourne alors des décors de scène et se recentre, de façon définitive, sur sa propre peinture. Si ses premières expositions lui donnent l’occasion d’être récompensé de nombreux prix pour sa peinture, la consécration n’arrive enfin qu’en 1955, lorsque la revue Connaissance des Arts le cite parmi les dix peintres les plus importants de sa génération.

L’on comprend pourquoi lorsqu’en 1957, il expose L’Apocalypse, l’une de ses œuvres les plus grandioses, si ce n’est son chef d’œuvre, qu’il a plus tard reproduite – non sans quelques ajouts et modifications – sur les murs de la chapelle de la Fondation Carzou à Manosque, dans les Alpes de Haute-Provence. L’œuvre, qui s’étend sur plus de 650 m², a été inaugurée en 1991, le jour de l’indépendance définitive de la République d’Arménie. « Coïncidence heureuse », dira le vice-président de la Fondation 20 ans plus tard dans un discours qui en célèbre l’anniversaire

En 1968 a lieu une nouvelle exposition intitulée "Figures rituelles" qui marque, à l’inverse de L’Apocalypse où prédomine de façon magistrale le bleu turquoise, l’avènement des tons rouge et orange dans sa peinture, lui conférant une dimension nouvelle, plus intense, traduisant des sentiments plus mélangés encore.

Affiche pour l'exposition "Figures rituelles", 1968 (In Furhange, Maguy, préface de Roger Caillois, CARZOU: graveur et lithographe I, Éditions d'Art de Francony, Nice, 1971,p. 179 [lithographie n°256])

Juré au Festival de Cannes, élu à l’Académie des Beaux-Arts, officier de la Légion d’Honneur et commandeur des Arts et Lettre et du Mérite : Carzou est honoré de toute part dans le monde de l’Art à la fin des années 1970. Toutefois, le visionnaire est aussi théoricien de la peinture contemporaine, ce qui lui vaut de se heurter quelques fois à ses condisciples. Par ailleurs, les différents prix internationaux reçus entre 1930 et 1950 avaient préalablement assis sa notoriété ; dans les années 1980, il commence à exposer dans le monde entier, où Tokyo, Moscou, la Suisse, l’Allemagne et l’Arménie accueillent ainsi ses œuvres à bras ouverts.

Durant les vingt dernières années de sa vie, Carzou inaugure une dernière exposition, puis se dévoue cinq ans durant à reproduire L’Apocalypse pour la Fondation qui lui rend hommage et porte son nom sans plus chercher ni la gloire ni les honneurs, acquis depuis déjà bien longtemps. L’épopée prend fin en l’an 2000, à Périgueux, où Carzou s’éteint, laissant derrière lui sans plus s’en soucier ses prophéties de lignes et de couleurs saisissantes se réaliser peu à peu.

Influence et reconnaissance, le rôle de la Fondation Carzou

 

Il est difficile d’évaluer la portée de l’influence artistique de Carzou. À vrai dire, s'il comptait parmi les artistes les plus influents de sa génération entre 1950 et 1970, son nom et son œuvre sont aujourd’hui peu connus du public et peu d’expositions lui sont réellement consacrées, si ce n’est grâce à la Fondation Carzou.

L’œuvre du peintre expressionniste Bernard Buffet semble en avoir subi l’influence sans toutefois que Carzou soit mentionné comme référent dans les articles concernant Buffet. Pourtant, les similitudes sont frappantes tout particulièrement dans les représentations de paysages urbains, comme celles du Pont Alexandre III et du Grand Palais ci-dessous.

Bernard Buffet, Le Grand Palais, 1989
Jean Carzou, Le Pont Alexandre III, 1967 (In Furhange, Maguy, Mazars, Pierre, préface de Marcel Brion, CARZOU: graveur et lithographe II, Éditions d'Art de Francony, Nice, 1975, p. 147 [lithographie n°224])

Beaucoup pensent parfois à tort que Carzou n'a été qu'un piètre imitateur de Buffet, qui demeure de nos jours beaucoup plus célèbre que Carzou.

Peu de documents sur l’œuvre de l’artiste sont disponibles. Les livres d’art, catalogues de son œuvre, sont pour partie tirés à un nombre d’exemplaires limité et vendus par la Fondation Carzou (lien vers le catalogue des livres en vente: Magasin - Livres).

CARZOU: graveur et lithographe, tomes I et II, Éditions d'Art de Francony, 1971 et 1975

Le travail de promotion et de préservation de l’œuvre de Carzou par la Fondation est très important. La configuration du lieu se prête à merveille à divers concerts et expositions temporaires qui permettent au public de découvrir l’œuvre la plus conséquente de l'artiste: L'Apocalypse, qui orne les murs de la chapelle et en fait un lieu unique. Pour visiter le site et en savoir plus, rendez-vous ici: Fondation Carzou, ou ici: Fondation Carzou Facebook

L’Apocalypse ou Carzou, la légende du visionnaire

Affiche pour l'exposition "L'Apocalypse", 1957 (In Furhange, Maguy, préface de Roger Caillois, CARZOU: graveur et lithographe, Éditions d'Art de Francony, Nice, 1971, p. 93 [lithographie n°39])

« J'ai voulu représenter l'Apocalypse, le climat de notre époque. J'ai pris comme base de travail mon exposition de 1957 à Paris intitulée l'Apocalypse. Cette exposition était composée d'une suite de tableaux inspirés des usines atomiques, de la civilisation machiniste, des champs de tir, des fusées, de la disparition des forêts, la pollution etc. Enfin le voyage dans le cosmos, avant le premier vol dans l'espace des astronautes soviétiques.

Mon but : la peur de l'an 2000, un peu comme la peur de l'An Mil. L'intense développement de la technologie, la déshumanisation de la terre, la multiplication terrifiante de l'espèce humaine, le danger de la montée de la surface des mers, la disparition continuelles des espèces animales, l'homme s'enfermant dans un milieu artificiel, font que la terre deviendrait invivable et désertique. [...] »

 

Ainsi Carzou introduit-il la description de son œuvre au moment de l'inauguration de la Fondation. Pour lire le texte en entier, rendez-vous ici: "Mon Apocalypse"

Cette description de l’œuvre par Carzou lui-même aborde et explique les différents thèmes récurrents dans cette exposition : la guerre, la barbarie, le génocide, la tyrannie, la dévastation et la désolation sont ceux qui le poursuivent et le hantent, illustrés par des motifs tels que les ruines, les canons, les champs de bataille, les armes ou encore les figures très reconnaissables des tyrans Hitler, Staline et Pol Pot, nommés dans la description de l’œuvre. Les avancées technologiques ponctuent cette immense fresque et semblent scander fatalement les différentes catastrophes. Le progrès remplit le peintre d’anxiété, tout s’accélère et plus rien ne semble pouvoir être contrôlé. Pourtant, Carzou les contrôle, lui, au moyen de coups de crayon ou de pinceau comme affûtés, de traits rectilignes, jamais laissés au hasard d’un geste brusque ou passionné. Les thèmes et motifs peints s’inspirent de la réalité, de l’Histoire, pour en extraire et en dépeindre toute l’atrocité et l’absurdité, comme reposant sur de solides bases tracées à la règle, donnant l’impression que la nature humaine est finalement régie par un ordre immuable et qu’il en a toujours été ainsi, donnant l’impression que la destinée de l’homme est toute tracée et qu’il ne peut que courir vers le désastre, entraînant irrémédiablement sa fin. Le progrès et la science, illustrés par le développement des réseaux de chemins de fer – qui passionnent Carzou – et la conquête de l’Espace, s’appuient sur ces lignes qui semblent obéir à des règles mathématiques. Le dessein de l'artiste n'en revient alors, finalement, qu'à construire: construire par l'art et la peinture ce que l'évolution humaine détruit, construire la destruction-même du monde par l'humanité.

Face à toute cette angoisse et à l’humanité qui s’autodétruit et détruit le monde autour d’elle, représentées par la figure de la Grande Prostituée, celles de la Femme-Arbre et de la Vierge symbolisent l’apaisement, la renaissance, la nature qui reprend ses droits sur l’homme. L’homme bâtit un présent et un avenir sur les ruines laissées pour héritage par l’Histoire, et « le monde que l’on tente de détruire renaît avec une force nouvelle », ce dont l’artiste était intimement convaincu.

Ainsi, dans toutes les scènes de L’Apocalypse, le ciel demeure turquoise, comme étonnamment calme, limpide, paisible, constant et imperturbable face à la mouvance de la vie, de l’ordre du monde, face à l’évolution et à la crainte qu’elle suscite.

Femme-Arbre
Vierge

 

Le trait et la couleur

 

Les supports et techniques utilisées par Carzou recouvrent une grande variété. Cartes de vœux, affiches, décors de spectacle, illustrations de livres pour enfants écrits par son épouse Nane, illustrations des Carnets d'Albert Camus et d'autres œuvres écrites, tableaux, gravures et lithographies composent l’essentiel de son œuvre, tour à tour dessinés au fusain, au crayon ou au feutre, gravés à la pointe sèche, peints à l’aquarelle, lithographiés en noir et blanc ou en couleurs sur papier de Chine, papier Japon ou bien d’autres supports encore.

Carte de voeux de l'artiste pour l'année 1966, 1965 (In Furhange, Maguy, Mazars, Pierre, préface de Marcel Brion, CARZOU: graveur et lithographe II, Éditions d'Art de Francony, Nice, 1975, p. 97 [lithographie n°177])

Les couleurs sont souvent vives, et le turquoise ou le bleu plus pâle et les tons flamboyants de rouge et d’orange sont dominants dans son œuvre et s’appliquent harmonieusement aux paysages et au ciel, toujours présent dans ses compositions. Le ciel se charge de valeurs fortes, représentant tantôt l’aube, tantôt le crépuscule, exprimant du même coup les sentiments et émotions les plus vives ou les plus paisibles du peintre, traduisant presque l’état dans lequel il a peint.

Sur ces différents ciels omniprésent dans la quasi intégralité de son œuvre se découpent les silhouettes noires, rectilignes, enchevêtrées, superposées, confuses et à la fois si nettes d’innombrables bateaux, pylônes, ports, bâtiments, arbres, arlequins, femmes et autres personnages historiques ou fantasques.

"La cathédrale", 1966-67 (In Furhange, Maguy, Mazars, Pierre, préface de Marcel Brion, CARZOU: graveur et lithographe II, Éditions d'Art de Francony, Nice, 1975, p. 196 [lithographie n°270])
"L'arlequin", 1959 (In Furhange, Maguy, préface de Roger Caillois, CARZOU: graveur et lithographe I, Éditions d'Art de Francony, Nice, 1971,p. 124 [lithographie n°49])

La figure féminine de profil est récurrente dans son œuvre : Carzou explique la récurrence de ce motif par le fait que le profil soit essentiellement exprimé par le trait, le graphisme permet donc de saisir la vision du monde au premier coup d’œil.

"Salomé", 1959 (In Furhange, Maguy, préface de Roger Caillois, CARZOU: graveur et lithographe I, Éditions d'Art de Francony, Nice, 1971, p. 145 [lithographie n°52])

Du reste, l’artiste semble être doté d’une extrême clairvoyance, d’une extra-sensorialité qui lui fait voir le monde à travers son essence, son ossature, sa carcasse dans tout ce qu’elle a de plus monstrueux et de plus élémentaire et poétique. Maguy Furhange, qui a commenté l’œuvre de Carzou, explique que « chez Carzou, l’irréalité, le sens du fantastique sont étayés par une maîtrise graphique indiscutable et, se souvenant que “de tous les actes, le plus complet est celui de construire”, comme disait Paul Valéry, il construit avec rigueur », il construit le monde comme il le perçoit mais aussi comme il le rêve, selon les hantises et les traumatismes qu’il lui inspire ou selon sa candeur. [Citation: Furhange, Maguy, préface de Roger Caillois, CARZOU: graveur et lithographe, Éditions d’Art de Francony, 1971, 215 p.]

 

« Ce monde essoré et empli de gloire, tissé de mémoire fourbe et d’attente dupée, est celui où tu vas. » Tels sont les derniers mots de la préface du premier tome de CARZOU: graveur et lithographe par l’écrivain Roger Caillois, qui retentissent comme une sentence et traduisent sans point trahir le dessein de l’artiste dans L’Apocalypse, mais aussi son œuvre tout entière, profondément marquée par la quiétude et l’inquiétude que contiennent scènes et paysages où la trace de l’homme, délicate et brutale, fascinante et fatale, est comme gravée et indélébile.

 

 

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commentaires

G
Bonjour :<br /> La Fondation Carzou à Manosque a pris connaissance avec plaisir de l'intéressant article ci-dessus sur Carzou publié sur le blog de l'IUT MDL d'Aix-en-Provence :<br /> Le but de ce message est de solliciter des informations sur le ou les auteurs de ce texte en vue de le ou les rencontrer éventuellement pour échanges de vues et projets éventuels autour de Carzou..<br /> D'avance je vous remercie de votre retour.<br /> Bien cordialement.<br /> Gilles DELLA GUARDIA. Vice-président de la Fondation Carzou.
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M
Bonjour,<br /> L'auteur est l'une de nos anciennes étudiantes. Je vais la contacter pour savoir si je peux vous donner son adresse mail.<br /> <br /> Cordialement<br /> <br /> SV



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